Ra'vrik Qeaix
A sa naissance, Ra'vrik fut nommé Sromduk, ce qui signifie "celui qui a un grand dos", dans sa langue natale. Son enfance est assez banale pour un Tokomo: ses deux parents sont nés à Kraina-Kazulia, et le petit Sromduk y passera ses deux premiers siècles. Il mène tranquillement sa petite vie, il étudie le Spiraleum, le Bielomova et le LAU, et sa mère lui apprend à tisser pour qu'il puisse vendre ses créations aux habitants de la ville.
Mais en l'an 975, alors qu'il a déjà 270 ans, une missive arrive chez ses parents. Ils la lisent, et restent consternés. Sromduk demande à lire la lettre, mais ses parents refusent, ils ne prononcent que quelques mots: "Rairaix kums rak esmuromsk" (heureux sont les ignorants), ils se saisissent de leurs vieilles armes rouillées, vouées à ne jamais servir, puis ils partent avec Sromduk en direction de la frontière. Sromduk et ses parents marchèrent jusqu'à Mea, dans une région qu'on nommait à l'époque la "Vallée du soleil couchant".
Mais arrivés à l'entrée de cette vallée, les trois Tokomos sont témoins d'un spectacle épouvantable: le sol autrefois vert de la vallée est noir, incendié. D'immenses failles sont ouvertes dans le sol, la terre fume, les arbres brûlent, et jusqu'à l'horizon, des cadavres de Tokomos jonchent le sol, figés dans leur immensité, baignant dans d'immondes flaques de sang. Les corps sont entassés, laissés au lieu exact de leur mort, et les survivants continuent de se battre avec rage, en foulant du pied les corps fraîchement tués de leurs frères, de leurs pères, de leurs mères, ou de leurs amis. La tristesse est visible dans les yeux de chacun, des morts comme des vivants, et les parents de Sromduk regardent une dernière fois leur fils, avant de pousser un ultime cri de guerre, l'arme en main, et de courir vers l'ennemi, sur les plaines désolées de la vallée ravagée.
Sromduk resta un long moment immobile, quelques heures, des jours sans doute, avant de ce décider à bouger. Il marcha lentement en direction de la vallée, mais ne trouva que des morts. Beaucoup de morts. Selon ses estimations, tout le peuple de Tokomos de l'ouest, et celui du Nord: plusieurs milliers de cadavres étendus sur le sol, et le pauvre Sromduk, seul au milieu du carnage, malgré son jeune âge, désormais "le plus vieux" de son peuple, celui qu'on nommerait "ra vrik qeaix".
Aujourd'hui, la vallée du soleil couchant n'existe plus, on l'appelle désormais "La vallée du massacre". Si vous en parlez aux habitants des environs, ils pourront certainement vous conter cette étrange histoire, celle d'un fantôme, d'un fossoyeur, qui y aurait enterré ses parents, ses oncles, ses amis, tout son peuple enfin. Et qui, une fois par an, sortirait des profondes failles de la vallée, pour se poster à l'entrée, et pleurer en silence.